LYON-LA DUCHÈRE, DANS LE RESPECT DES RÈGLES

Publié le 09/03/2023

Article FFF du 08/03/23

Confronté à certains freins dans la pratique féminine, le club rhodanien s’est mobilisé avec succès sur une question souvent taboue : comment concilier sport et menstruations ?

« J’ai mes règles, je fais du sport. » C’est sous ce slogan que Lyon-La Duchère, club de 605 licencié(e)s, dont 80 féminines, dans toutes les catégories (des U7 aux seniors), a engagé une série d’actions de sensibilisation et d’information autour du cycle menstruel, un sujet souvent tabou et susceptible d’inhiber la pratique sportive, par méconnaissance ou par pudeur.
Cette campagne menée de manière collégiale entre permanent(e)s du club et bénévoles, qui lui a valu le Grand Prix Philippe-Séguin 2022 du Fondaction du Football dans la catégorie « mixité et diversité », est détaillée par Isabelle Ebenga, cheville ouvrière du projet et membre du conseil d’administration de l’association Lyon-La Duchère, où elle gère notamment les questions de santé.

LA GENÈSE 

Venue au football par l’intermédiaire de son fils de 13 ans, licencié à La Duch’ depuis six saisons, Isabelle Ebenga a mobilisé les connaissances de son métier d’infirmière pour fédérer le groupe de femmes du club à l’origine de cette initiative, arrivée presque fortuitement. « Elle est partie d’une discussion avec une coach de la section féminine, nous racontant qu’il lui arrivait d’aller acheter des protections périodiques pour des jeunes filles du club qui en étaient dépourvues au moment de leurs règles. »

Une situation qui a révélé d’autres faces cachées et imposé d’élargir leur intervention. « Au départ, on pensait parler seulement de cette précarité menstruelle (*). On s’est finalement dirigé vers de l’éducation thérapeutique, à savoir que l’on peut pratiquer le football même quand on a ses règles. Car on s’est aperçu que cela jouait sur l’absentéisme chez les jeunes filles. Elles donnaient souvent comme raison à leur absence qu’elles avaient leurs règles et ne pouvaient donc pas venir s’entraîner normalement. »

Soundès Boujday, directrice adjointe du club, trophée en main, et Isabelle Ebenga, lors de la cérémonie de remise des Trophées Philippe-Séguin 2022 (photo Fondaction du Football).

LES ÉDUCATEURS ET ÉDUCATRICES PREMIERS SENSIBILISÉS 

S’est alors posée la question des personnes à sensibiliser en priorité afin de véhiculer les bons messages. « On s’est d’abord tourné vers les éducateurs de la section féminine. Je les ai réunis pour une séance d’éducation thérapeutique sur les généralités des menstruations et les façons de repérer qu’une jeune fille pouvait être en difficulté pour cette raison. Parce que le plus souvent, elles n’osent pas venir les voir, surtout quand ce sont des hommes. »

Cette première étape a été approfondie par une rencontre avec un médecin généraliste, afin d’élargir leurs savoir en axant son intervention sur une partie médicale plus théorique. « Il leur a expliqué ce qu’étaient les menstruations et leur a aussi parlé de pathologies associées, comme l’endométriose (**). » Des séances qui ont permis de lever certaines méconnaissances. « Pour certains, cela a été une piqûre de rappel, d’autres ont appris des choses, y compris les deux éducatrices. On a certains a priori, par exemple qu’il vaut mieux ne pas faire de mouvement en cas de douleurs alors que c’est l’inverse. » 

AVEC LES JOUEUSES SUR LE TERRAIN 

Restait à concrétiser auprès des principales intéressées. Un stage organisé en période de vacances scolaires pour les joueuses des U14 aux seniors, avec entraînements les matins et divers ateliers les après-midis, a été mis à profit pour propager les messages. « Les filles ont notamment pu rencontrer une naturopathe et une sage-femme, des professionnelles de santé qu’elles n’ont pas toujours la possibilité de croiser à La Duchère, classé en quartier prioritaire de la ville. »

L’internationale de l’Olympique Lyonnais Amel Majri est également venue échanger avec elles. « On s’est dit qu’il serait plus simple de parler des règles avec l’une de leurs pairs, que ce serait plus concret parce qu’elles se reconnaissent en elle. Elle a participé à cette éducation thérapeutique en leur expliquant que l’on pouvait réellement jouer au foot quand on a ses règles. » 

La milieu de terrain de l’OL et de l’Équipe de France féminine Amel Majri à la rencontre des joueuses (photo Lyon-La Duchère).

La dernière touche a été apportée par une art-thérapeuthe (***) évoluant au sein du club, avec laquelle elles ont élaboré un livret pédagogique sur le sujet avant d’engager une action de terrain. « Elles ont construit avec elle une boîte de collecte de moyens de protection, avec laquelle elles sont allées au supermarché du quartier pour récupérer serviettes périodiques, tampons… qu’elles sont ensuite allées donner au centre social de l’arrondissement. Y compris en se tournant vers des hommes pour leur expliquer leur action et leur demander d’aller acheter, ce qu’elles n’auraient peut-être pas fait en temps normal. » 

Le livret pédagogique de Lyon-La Duchère

LA PAROLE LIBÉRÉE 

Avec un recul de quelques mois, Isabelle Ebenga a constaté un changement palpable dans les comportements, à commencer par ceux des joueuses. « Elles ont découvert pas mal de choses et le simple fait d’en parler a été salutaire. Il s’agit clairement d’un tabou et là, elles ont eu un espace pour se permettre d’aborder des sujets dont elles ne s’ouvraient pas au sein de leur famille. » Une évolution également constatée par les éducateurs. « Maintenant, elles osent venir les voir pour leur dire qu’elles ont leurs règles ou qu’elles n’ont pas de serviette, ce qu’elles ne faisaient pas auparavant. Et ils ont désormais les moyens de leur répondre et de les épauler. »

DES RÉTICENCES LEVÉES 

À l’heure de dresser un premier bilan, Isabelle Ebenga se réjouit d’avoir mené à bien une opération qui a pourtant soulevé quelques réticences. « Quand on a annoncé que l’on allait parler des menstruations, on a reçu certaines remarques que je n’ose même pas vous répéter. Les gens n’étaient pas ouvertement hostiles mais ils se demandaient où l’on voulait aller, pourquoi parler de ça, si c’était vraiment le rôle d’un club de foot… Certains ont même craint que des filles ne viennent pas au stage. »

Des difficultés en partie surmontées grâce « aux dirigeants qui nous ont tout de suite soutenues et ont mis les moyens et la logistique nécessaires » mais aussi grâce à la détermination des initiatrices. « On a eu des remerciements alors qu’au départ, ce n’était vraiment pas gagné. Il ne faut pas être moralisateur et s’adapter aux personnes que l’on a en face. On a d’abord foncé un peu tête baissée, on n’a pas baissé les bras et on est aujourd’hui contentes, et même fières, de ce que l’on a réalisé. » 

La prochaine étape ? « Une démarche sous une autre forme est en cours auprès des garçons. Car les règles peuvent être un sujet de moquerie de leur part, il est donc nécessaire de leur expliquer ce qu’il en est réellement. »

(*) Manque d’accès, faute de moyens matériels, à des protections hygiéniques en nombre suffisant pour avoir une hygiène décente (OMS).
(**) Maladie qui se caractérise par le développement de tissu semblable à la muqueuse utérine en dehors de l’utérus, provoquant ainsi des douleurs et/ou une infertilité (OMS). 
(***) Spécialiste de l’activité artistique qui exploite le pouvoir et les effets de l’art avec visées thérapeutique et humanitaire pour soulager les personnes souffrant de déficits physiques, psychiques ou socio-relationnels (Onisep).

Par Erika GIMENEZ

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